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Nicolas Sarkozy présente sa vision de l’architecture

Nicolas Sarkozy présente sa vision de l’architecture

Nicolas Sarkozy présente sa vision de l’architecture discours intégral

Allocution de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, à l’occasion de l’inauguration de la Cité de l’Architecture et du patrimoine au Palais de Chaillot – 17.09.2007

Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs les Maires,
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Comme vous le savez, la nouvelle Cité de l’architecture et du patrimoine a été en réalité inaugurée hier et avant-hier par le peuple français à l’occasion des journées européennes du patrimoine. J’ai voulu cette  » avant première  » car cette cité est la maison du peuple bien avant d’être celle des architectes et des hommes politiques. Aujourd’hui je suis fier d’être parmi vous, au milieu de cette impressionnante galerie des moulages, heureux de saluer ici la présence des élus qui ont le privilège d’en héberger les originaux, heureux d’être accompagné par quelques uns des plus grands architectes du temps avec qui j’aurai le plaisir de déjeuner, heureux d’avoir parcouru avec vous les maquettes des réalisations architecturales les plus audacieuses et les plus contemporaines.

Cette Cité a été voulue par Jules Ferry, le père de notre école moderne. Comme Condorcet, Ferry a toujours cherché à associer étroitement éducation et culture. En concrétisant l’idée de Viollet le Duc de créer un  » musée de moulages « , Jules Ferry a voulu qu’un large public puisse avoir un accès instantané à la richesse et la variété des patrimoines des régions de France.

L’inauguration de ce nouvel établissement culturel consacré à l’architecture et au patrimoine, je veux qu’elle soit l’occasion de remettre l’architecture au cœur de nos choix politiques. C’est une orientation politique que je vais assumer tout au long de ce quinquennat. L’architecture a un rôle majeur dans le destin individuel et collectif des hommes. L’architecture traduit ce destin, elle interprète ce destin, mais l’architecture également conditionne ce destin. L’architecture dessine nos murs, nos fenêtres, définit notre cadre de vie, oriente nos déplacements, modifie notre relation à l’espace et aux autres personnes.

Avec l’architecture,  » nous sommes, nous nous mouvons, nous vivons dans l’œuvre de l’homme  » déclarait Paul Valéry. C’est le contact le plus immédiat des citoyens avec l’art, avec l’histoire, et avec la création. Cette Cité, c’est en vérité notre pays tout entier, le territoire de nos valeurs, de nos références, de nos espérances – en un mot, cette Cité c’est le lieu de notre identité. Cette identité s’ancre dans nos régions tout comme elle s’exprime à travers l’universalité d’une culture ouverte au monde, et que résume magnifiquement la démarche d’un architecte à la fois chinois et américain venu construire une Pyramide en plein cœur du Louvre. L’identité n’est pas synonyme de fermeture.

Cette cité n’existe et ne se perpétue que par le ciment et les liens de la culture, et le patrimoine en est l’illustration la plus visible et la plus durable. Or, notre époque est marquée par le triomphe des sciences et de la technologie, mais au-delà des extraordinaires univers virtuels créés par l’informatique, nous savons de moins en moins quelle trace nous allons laisser dans l’histoire.

Je ne suis pas partisan d’une conception utilitariste de la culture. Je ne crois pas que la culture soit une simple marchandise. C’est pour eux-mêmes qu’il faut soutenir le théâtre, la musique, le patrimoine, l’architecture, le cinéma, pour ce que l’art et les artistes nous apportent comme sens, comme espérance, et tout simplement comme plaisir. La culture ce n’est pas un  » supplément d’âme « , c’est l’âme même de la civilisation.

La dimension spirituelle et la dimension matérielle ne sont pas séparables. L’art, la culture, l’architecture sont parties prenantes de l’état d’esprit de la société. Ils expriment sa vision du monde, la place qu’elle donne à l’homme. C’est particulièrement vrai de l’architecture, qui est au croisement de toutes les techniques, de tous les savoirs, de toutes les croyances. Elle au cœur du rapport du temps et de l’espace, au cœur de l’imaginaire qui unit ou qui devrait unir les membres d’une même communauté humaine. Elle est le témoignage d’un passé commun et une projection vers l’avenir. Une politique de l’architecture, comme toute politique culturelle, doit tenir les deux bouts du patrimoine et de la création.

La sauvegarde du patrimoine suppose, vous le savez, des moyens importants et un effort constant. Je souhaite la rétablir comme un objectif important de notre politique culturelle. J’ai demandé à Christine Albanel de dresser rapidement un état sanitaire des monuments classés et inscrits, d’effectuer un bilan des régimes juridiques de protection, et de réfléchir aux procédures les plus adaptées à la protection des nouveaux patrimoines, d’intensifier les discussions avec les autres collectivités publiques pour améliorer la répartition des rôles en matière d’entretien et de gestion des monuments. Nous allons modifier considérablement le régime du mécénat, augmenter les possibilités de partenariats public/privé en s’inspirant par exemple des fonds et sociétés d’investissement dans le cinéma ou le développement durable. Il ne sert à rien d’être si fier de notre patrimoine français et de continuer à mégoter pour l’entretenir. Et naturellement, l’entretenir ce n’est pas seulement des fonds publics. Faisons comme on fait partout dans le monde, au service de cet objectif majeur.

Parallèlement, je souhaite que le nombre de monuments ouverts au public tout au long de l’année soit significativement augmenté, et pas seulement réservé aux Journées du patrimoine. Le patrimoine appartient au peuple. Il y a trop de trésors qu’on ne montre pas.

La politique du patrimoine, c’est aussi le soin apporté à l’égard des constructions à venir. Comme la musique, l’architecture est œuvre des sens et construction de l’esprit. L’architecture va unir les disciplines les plus abstraites – philosophie, esthétique, sociologie – et les techniques de construction les plus concrètes. Il y a du sens, et il y a de la technique.

Nous pourrions disserter longuement sur le rôle philosophique de l’architecte, mais mon propos est de parler de politique, car l’architecture est aussi une politique. Elle est même au croisement des politiques : la culture, l’économie, l’urbanisme, le logement, l’environnement••• C’est la raison pour laquelle, au moment où les valeurs collectives sont menacées et où la compétition mondiale entre les territoires est à son comble, je souhaite donner une nouvelle ambition et un nouveau souffle créatif à la politique de l’architecture de notre pays.

Aux architectes d’aujourd’hui, je veux dire : vous avez un défi fantastique à relever, celui de développer votre créativité dans un univers économiquement contraint, dont la pente naturelle conduit à la normalisation, au formatage, à l’uniformisation, et au principe de précaution. Si le principe de précaution avait été appliqué en architecture, quelques unes des merveilles qu’on vient de me montrer ne seraient pas là. Je n’ai rien naturellement contre le principe de précaution. Je fais simplement ce constat. Qu’est-ce qui distingue aujourd’hui la plupart des tours de Shanghai de celles de São Paolo, de Mexico, de Singapour ? Qu’est-ce qui différencie les zones pavillonnaires des périphéries de Paris de celles de Lyon, de Bordeaux, de Marseille ? Comment préserver les identités régionales et nationales quand la pression démographique impose de trouver des solutions naturellement rapides et évidemment économiques ? Comment résister à l’appel des promoteurs proposant des maisons standard sur catalogue, au prix imbattable, un  » prêt à habiter  » avec jardinet en option ?

Le défi de la beauté architecturale est un enjeu culturel et humaniste au plus haut degré. Or l’enfer des villes a parfois, dans le passé, été pavé des meilleures intentions architecturales. On peut ainsi regretter les excès du  » fonctionnalisme « , synonyme de morcèlement de l’espace en zones d’habitations d’un côté, d’activités de l’autre•••, idéologie encore présente dans la conception des documents d’urbanisme. Comme s’il fallait sacrifier aux entrées de nos villes, des zones réservées aux activités : on y met tout, n’importe quoi, n’importe comment, sans se soucier de ceux qui y travaillent, de ceux qui y vivent. Je souhaite donc que les règles de construction et d’urbanisme laissent plus de latitude quant au choix des moyens à retenir pour atteindre les objectifs : on a été à la limite supérieure des contraintes, cela va finir par étouffer toute possibilité de création et d’innovation.

Le poète ne doit pas toujours s’effacer devant l’ingénieur – je n’ai rien contre l’ingénieur bien sûr – mais la sensibilité peut avoir jeu égal avec la raison. Cher Jean Nouvel, je sais que cette idée vous est chère : il est temps de revenir à une architecture humaine, sensible, créative, attentive aux caractéristiques de chaque territoire, aux habitudes de vie de ses populations, aux particularités de son climat, de ses paysages naturels… Une architecture qui parte de l’analyse du réel pour induire une forme, plutôt que de plaquer un schéma préétabli sur la réalité. Votre projet pour la Philharmonie de Paris en est une nouvelle et vibrante illustration. Je ferai tout pour que ce projet voie le jour.

Alors il faut dépasser certains débats simplistes. Exemple de débat simpliste, celui sur les  » tours « . Il y a des partisans de toutes les tours, et il y a des adversaires de toutes les tours. Avec ces attitudes on ne risque pas d’aller très loin. Certes, la Tour Montparnasse ne nous facilite pas la tâche. On peut porter le jugement que l’on veut, mais il est difficile de retenir un lien avec son environnement. Il en va de même que la dalle de Beaugrenelle. Mais inversement, votre projet de  » Tour Phare « , cher Tom Mayne, fait de mon point de vue l’unanimité, par sa beauté esthétique et par son intégration parfaite dans cette forêt de hautes constructions qu’est le quartier de la Défense, lieu emblématique où l’architecture a la double fonction d’afficher des signes et de travailler à la réorganisation d’ensemble des fonctions urbaines. Qui viendrait imaginer l’installation d’un quartier pavillonnaire à la Défense ? On ne peut donc pas avoir une politique indifférenciée pour refuser ou promouvoir les tours, il faut juger au cas par cas.

S’agissant de la région parisienne, je souhaite que nous réfléchissions, au-delà des clivages des uns et des autres, à un nouveau projet d’aménagement global du  » grand Paris « . C’est mon devoir de porter cette idée. Naturellement, je ne veux pas contester les responsabilités de tous les maires – j’ai été maire pendant vingt ans. Mais regardez ce qui s’est passé de grand il y a cinquante ou soixante ans. Ils n’ont pas eu peur d’envisager l’avenir. La question pour nous n’est pas de penser les six mois qui viennent mais le siècle qui s’ouvre. Quarante ans après la démarche lancée par le général de Gaulle et le préfet Paul Delouvrier, nous devons réparer les erreurs commises dans le passé – car il y a eu des erreurs – en veillant à créer de vraies villes dans nos banlieues, avec des espaces publics, des services, et tout simplement des lieux de sociabilité. Nous devons aussi les intégrer davantage à la capitale par des moyens de communication adaptés. Il n’y a pas les élus de la capitale et les élus de la périphérie, c’est la même région, le même espace. Et s’ils n’arrivent pas à se parler, des initiatives doivent être prises, à un niveau suffisant pour que cette discussion ait lieu. Pour favoriser cette réflexion, je souhaiterais, en concertation bien sûr avec l’ensemble des collectivités concernées, à commencer par la Ville de Paris, que huit à dix agences d’architectes puissent travailler sur un diagnostic prospectif, urbanistique et paysager, sur le grand Paris à l’horizon de vingt, trente voire quarante ans. Ces agences seraient choisies pour moitié parmi des agences françaises et pour l’autre moitié parmi des agences étrangères, en incluant de jeunes agences.

L’architecture a aussi pour vocation d’humaniser des banlieues et des cités trop longtemps laissées à l’abandon. L’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine a déjà consacré plus de 8Md€ à cette mission depuis 2004. Il serait utile d’amplifier l’effort en veillant à prendre en compte la qualité du patrimoine bâti : les logements sociaux doivent être des grands gestes d’architecture. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas les moyens d’habiter dans un immeuble haussmanien qu’on doit forcément habiter dans quelque chose dont on n’a pas pris soin de penser la forme. Je songe notamment à la  » cité parc  » des Courtillières à Pantin édifiée par Emile Aillaud, qui est un exemple de ce qu’on doit s’efforcer de rénover mais aussi de préserver.

Et puis il y a, dans notre volonté de relancer l’architecture en France, une question incontournable, une question qui fâche et qu’il faut bien affronter, celle des concours internationaux d’architecture. Pour favoriser l’éclosion d’un projet original et adapté, il est nécessaire qu’un dialogue puisse s’établir entre le maître d’ouvrage et l’architecte, y compris au moment de la définition du projet. De fait, peut-on imaginer un particulier à qui l’on interdirait de parler avec son architecte lorsqu’il dessine les plans de sa maison ? A-t-on jamais vu quelque chose d’aussi absurde ? Or la règle de l’anonymat des concours interdit aujourd’hui toute relation personnalisée entre les candidats et le maître d’ouvrage public. Je souhaite que le Gouvernement français propose à ses partenaires européens une réforme profonde de ces règles, pour assurer la transparence et l’égalité entre les candidats par des moyens plus modernes que la règle de l’anonymat, qui est frustrante aussi bien pour l’architecte que pour le maître d’ouvrage.

Ce souci de qualité architecturale, les maîtres d’ouvrage doivent toujours l’avoir à l’esprit en s’entourant d’architectes conseils. Mais il est tout aussi important que les particuliers aient ce même réflexe. Aujourd’hui, 83% des maisons individuelles construites en France le sont sans architecte. Cela en dit long sur la méconnaissance du métier d’architecte. Il en résulte une tendance naturelle à l’appauvrissement de la diversité et au mitage des paysages naturels, dégradation accrue par la multiplication des  » zones d’activité  » aux abords des villes, qui ne sont rien d’autre qu’une forme de scandale, comme si la ville laide en périphérie c’était normal pour garder la ville superbe en son cœur : ce n’est pas un raisonnement républicain. Aussi nous faut-il promouvoir l’exigence architecturale auprès des acheteurs, des promoteurs et des maires. Nous démontrerons ainsi que l’innovation et la créativité ne sont pas réservées à une élite, mais accessibles à l’ensemble de la population.

Je souhaite également, à l’image de la réflexion sur le Grand Paris, que nous ayons une réflexion globale, approfondie, et débouchant sur des solutions concrètes et d’envergure, sur l’abord des villes, qui s’est beaucoup dégradé ces dernières années. C’est un projet qui concerne un nombre considérable de nos concitoyens et je ne vois pas de fatalité à devoir pénétrer dans les plus belles de nos cités en passant d’abord par des lieux qui font honte parce qu’on y installe tout ce qu’on ne veut pas voir au centre de la ville.

Nous le voyons, le développement harmonieux de notre patrimoine – celui d’hier, celui de demain – est réellement  » l’affaire de tous « . Et c’est bien pour cela, qu’aujourd’hui comme hier, l’éducation et la culture doivent être liées.

Je souhaite à cet égard que l’éducation artistique et culturelle à l’école soit profondément renouvelée. Mon ambition n’est pas d’améliorer ou de renforcer des dispositifs existants. L’école est un enjeu de civilisation. C’est pourquoi je souhaite changer en profondeur la manière dont l’école enseigne la culture et les arts. Nous devons être audacieux, ambitieux, déterminés, à l’image de cette audace volontariste de Viollet-le-Duc et de Ferry dont nous célébrons aujourd’hui la deuxième naissance. Pardon de le dire, mais ils étaient plus audacieux que nous, et la rupture leur faisait moins peur. Nous sommes devenus conservateurs, et la multiplication des règles n’est en quelque sorte que notre volonté d’avoir une société aplatie, sans odeur, sans saveur et sans couleur.

Je souhaite également que les architectes de demain puissent étudier dans les meilleures écoles. Les architectes en chef des monuments historiques disposent aujourd’hui d’une solide réputation issue d’une grande tradition et assise sur une formation dispensée par une institution prestigieuse, l’Ecole de Chaillot, également présente en ces murs. Cette excellence doit s’appliquer aussi aux autres filières de formation. Pour pouvoir rivaliser avec les meilleures écoles suisses, anglaises, autrichiennes et américaines, il faut décloisonner les écoles d’architecture et les faire participer à des pôles universitaires de niveau international, apportant des savoirs artistiques et techniques complémentaires. Un architecte-sociologue ou poète, c’est bien, un architecte-ingénieur, ce peut être mieux encore, et ce n’est pas un hasard si les meilleurs architectes du monde intègrent toutes ces dimensions. A titre d’exemple, une formation d’excellence pourrait voir le jour, en plein cœur de Paris, entre l’Ecole nationale supérieure des beaux arts et l’école d’architecture de Paris Malaquais, sur le modèle de l’académie des beaux arts de Vienne.

Dans Eupalinos ou l’architecte, Paul Valery déclarait :  » dis-moi, puisque tu es si sensible aux effets de l’architecture, n’as-tu pas observé, en te promenant dans cette ville, que d’entre les édifices dont elle est peuplée, les uns sont morts ; les autres parlent ; et d’autres enfin, qui sont les plus rares, chantent ? « 

Je souhaite que la nouvelle Cité de l’Architecture et du Patrimoine nous apporte les harmonies des temps anciens, qu’elle nous initie à la lecture des monuments contemporains, qu’elle nourrisse l’âme des architectes de demain, qu’elle refasse de l’architecture un bien commun, et qu’elle la replace au cœur des choix de société.
A ceux qui s’interrogeaient pour savoir si c’était bien la place d’un Président de la République de parler de l’architecture, eh bien je veux répondre que si le chef de l’Etat considère l’architecture comme un sujet secondaire, il ne faudra pas se plaindre que dans cinquante ans il n’y ait pas les projets d’aujourd’hui à montrer. L’architecture, c’est l’identité de notre pays pour les cinquante ans qui viennent. Il est tout à fait normal qu’en tant que chef de l’Etat je m’engage pleinement dans cette mission : redonner à l’architecture la possibilité de l’audace. Car mesdames et messieurs les architectes vous avez le goût de l’audace, vous n’en avez plus la possibilité, en tout cas dans un pays comme la France. Je souhaite vous redonner cette possibilité, et je vous remercie.